Etre un orphelin à la fin du 19ème siècle

Vous avez peut-être dans votre arbre, comme dans le mien, une pupille de l’Etat.

Mon arrière-grand-père, né de parents non-désignés en 1902, m’a permis de me questionner sur ce sujet délicat et je me suis lancée dans quelques lectures et recherches sur les conditions de vie de ces enfants « pupilles de l’Etat ». Connaissances que je partage avec vous aujourd’hui.

Contexte

Abandonné dès sa naissance et à l’aube du 20ème siècle – en janvier 1902 – Augustin vivra pourtant sa vie d’enfant comme un orphelin du 19 siècle. En effet, par l’Assistance Publique (1849) beaucoup de discussions et de lois vont éclore à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Cependant, le sort et la condition des enfants abandonnés mettront plus de temps à évoluer.

Les pupilles sont à la charge de la société et donc de l’Etat et des départements. C’est, malheureusement, un problème sociétal qui touchera la France durant plusieurs siècles.

Les pupilles, reconnaissables parmi les enfants.

Dès le début du 19ème siècle, il est nécessaire de compter les enfants abandonnés et de les suivre. Les anciens billets contenus dans des sachets et mis autour du cou des pupilles sont remplacés, à cette époque, par des matricules. Les pupilles recevaient un numéro de matricule gravé sur un médaillon qu’elles portaient autour du cou – médaillon plus solide qu’un sachet en tissu. Ce numéro renvoyait à un registre qui contenait des informations liées à la pupille : ses origines ou encore les circonstances de son admission. Les registres étaient (normalement) notifiées, durant les 12 premières années de vie de l’enfant, des différents évènements qu’il vivait.

Officiellement, l’immatriculation des pupilles servait aussi à rompre juridiquement le lien de filiation entre l’enfant et son/ses parent(s). Vous le comprendrez donc, lorsqu’un enfant recevait un numéro de matricule, il était difficile – voir impossible – pour le parent abandonnant de récupérer son enfant.

Les droits de l’enfant : droit de garde, droit de consentir à son engagement dans l’armée, ou encore à son mariage – sont donnés à l’autorité de tutelle qui était l’hospice ou l’agence départementale.

En plus d’avoir ce médaillon gravé d’un matricule autour du cou, les pupilles étaient reconnaissables – pour les enfants nés de parents inconnus – par leurs patronymes.

  • Soit ils portaient un prénom en guise de nom de famille – Marius FELIX, Paule BLANCHE.
  • Soit : particularité physique, lieu d’abandon ou de découverte, jour de la semaine ou mois en cours – composaient leur nom de famille. En effet, les officiers d’état civil manquaient d’imagination… Ainsi François DUPONT, a été découvert près du pont, François PETIT était un minuscule nourrisson et Marcel FEVRIER est porté à l’hospice au mois de février. A noter que Mr DUPONT, Melle BLANCHE ou encore Mr FEVRIER ne sont pas nécessairement des enfants abandonnés, mais la question peut se poser lorsque ce type de patronyme apparait dans un arbre.

Plus tard, sur les matricules militaires des hommes ou encore sur les actes de mariage, la mention « Pupille de l’Etat » sera inscrite à la place des parents.

Enfant abandonné, quel processus ?

Les enfants trouvés ou abandonnés via une personne tierce – accoucheuse, religieuse etc. – étaient amenés à l’état civil pour y être déclarés. Certains enfants étaient directement laissés en « dépôt« .

Les enfants sont ensuite portés à l’hospice dans lequel ils resteront 72h maximum, le temps de trouver une famille nourricière. Sur ce laps de temps à l’hospice, ils sont examinés : mesurés, pesés, bilan de santé. Malheureusement, c’est également sur ce laps de temps à l’hospice, que les nourrissons les plus faibles feront grandir le nombre de décès infantile.

Où étaient envoyées les pupilles ?

Il faut savoir qu’à cette période, les adoptions sont impossibles – sauf cas de force majeur – avant la majorité. Les enfants sont envoyés en campagne dans des familles nourricières.

Pourquoi à la campagne ? Parce que les « têtes pensantes » de l’Assistance Publique et de l’Etat pensaient que ces enfants abandonnés venaient de « mauvaises familles » et qu’en les laissant en ville ils finiraient voleur ou vagabond pour les garçons, et prostituée pour les filles. La campagne : gage de protection de l’avenir des enfants ? Pas seulement…

En effet, les enfants sont également envoyés en campagne et loin de leur ville d’origine – souvent même dans une autre région – pour des raisons « sociales ». Les familles nourricières recevaient des aides financières pour l’éducation des pupilles. A la fin du 18ème siècle – début du 19ème siècle – certaines familles pauvres et pourtant désireuses de garder leur enfant restent dans l’impossibilité financière de les nourrir et les éduquer. Ces familles, préfèrent abandonner leur enfant en dépôt mais se présentaient comme famille nourricière potentielle. Ainsi une mère pouvait récupérer son enfant et recevait une aide pour le nourrir et l’élever. Vous imaginez – que le système d’aide sociale n’est pas encore mis en place et – suite à une explosion du chiffre d’abandon et de famille désirant devenir « famille nourricière », les services départementaux – suite à de nombreuses enquêtes – ont fini par flairer la supercherie et les pupilles furent ainsi envoyées loin.

C’est le cas pour la pupille de mon arbre : il grandira à plus de 150 km de sa ville natale.

Les pupilles sont envoyées en campagne, au début du 19ème siècle par des meneurs : les enfants plus âgés veillent sur les plus jeunes. Dans les plus jeunes sont comptés des nourrissons d’à peine quelques jours qui sortent de l’hospice… Les trajets durent plusieurs jours et certains nourrissons n’arrivent pas à temps dans les familles nourricières. A la fin du 19ème siècle, l’envoi des pupilles dans les familles s’effectuera par des convoyeurs salariés.

Pupille et famille nourricière

En campagne, même si certains auront plus de chance, les enfants sont très généralement confiés à des familles de cultivateurs. Léon Lallemand, qui a joué un rôle essentiel dans le droit des enfants abandonnés, affirmera ce fait.

Les familles nourricières doivent subvenir aux besoins de l’enfant jusqu’à sa treizième année.

Oui mais, au-delà ? Les pupilles ne bénéficient plus d’aucune protection : autrement dit, ils sont livrés à eux-mêmes. Beaucoup font le choix de rester dans leurs familles nourricières en tant que main d’œuvre dans les champs en contrepartie d’une chambre et d’un couvert. Un petit nombre d’entre eux prendront leur distance et seront domestiques dans des familles bourgeoises. Certains trouveront des maitres d’apprentissages et vivront chez eux.

Enfin, pour les enfants plus difficiles a placer, généralement les filles, le retour à l’hospice est inévitable et pourtant pas la solution puisque ce retour à l’hospice était souvent synonyme de vagabondage ou de prostitution.

Problème de pupille mais paroles aux adultes

Les inspecteurs, lors des visites de contrôles, vérifiaient que les enfants étaient nourris, traités et élevés convenablement. Sauf gros manquements ou abus, les inspecteurs n’étaient pas trop regardant sur la condition de vie des enfants.

A cette époque la parole n’est pas donnée aux enfants, seules les familles nourricières sont interrogées. D’ailleurs, l’Assistance Publique connait le nom des familles mais pas celui des enfants. Vous l’avez compris, si un parti doit se plaindre à l’inspecteur : c’est la famille nourricière qui se plaint de l’enfant mais jamais l’inverse.

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre Mondiale, soit quasiment à la moitié du 20ème siècle, que les pupilles pourront parler et petit à petit être entendus grâce à la protection de l’enfance qui sera mise en place au cours de ce même siècle.


Sources

  • Duclos, P. (1989). Les enfants de l’oubli. Seuil.
  • Provence, M. (2015). Enfants abandonnés, enfants sans père. Archives & Culture
  • Lallemand, L. (1885). La question des enfants abandonnés et délaissés au XIX siècle . Gallica

Qui sommes-nous ?

Deux jeunes femmes, l'une dans le sud-ouest l'autre dans le sud-est de la France, avec une passion commune : la généalogie ! Le nez dans les archives et les anciens journaux ! Sans oublier la tête plongée dans les livres d'Histoire en tout genre ! Curieuses et Sherlock sur les bords, nous voilà parties depuis quelques années sur l'histoire de nos ancêtres...

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Cet article a été écrit par Célia

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